mardi 22 septembre 2009

Urgence sur le pavé

Qu’entend-on par urgence ? Schéma très aseptisé d’un système de soins occidental où même la TV s’empare du sujet pour en faire une série que tout un chacun peut regarder. Identification valorisante de ce système qui semble parfois pouvoir ressusciter les morts…
15H30 : un homme se présente devant la maison, nous sommes absorbés à notre activité du début d’après midi en ce beau dimanche ensoleillé. Il me montre du sang sur ses pieds : « c’est le sang de mon frère qui a eu un enfant » - « Ton frère s’est blessé ? » - « Il saigne depuis que l’enfant est né » (en me montrant le bas ventre)
En fait il ne sait pas dire « sœur » et emploie le masculin par défaut dans un français approximatif. Le temps de comprendre et nous courrons à l’hôpital. Là sur le pavé gît un corps de jeune femme tout ensanglanté. Ses lèvres sont déjà blanches, un premier regard sur ses pupilles m’en dit long sur la situation… Silence pesant, toute la famille est là… Ils m’expliquent qu’elle vient d’avoir son quatrième enfant ce midi. Elle a accouché sur le chemin d’un dispensaire de brousse. Arrivée dans ce dispensaire elle s’est mise à saigner abondamment, ils l’ont perfusée et référée sur l’hôpital Saint Camille car nous faisons des transfusions…Elle doit avoir 25 ans. Aucun pouls. Auscultation : là encore le silence. Le zem qui l’a amenée est déjà en train de laver sa moto à l’éponge, il a du mal avec le pot d’échappement… Et pour cause, la malheureuse, morte ou mourante, n’a sans doute pas pu éloigner son pied du métal brûlant. L’examen de la brûlure du pied m’apprend que la mort est survenue lors du transport.
Il est des gestes comme la fermeture des yeux qui n’ont pas de frontière : la famille comprend. Je parle un peu, j’explique doucement qu’on ne peut plus rien… Une aide-soignante traduit. Nous restons en silence. La dépouille reste là, à même le sol : c’est choquant pour moi, mais seulement pour moi… Efforts pour rester silencieux (les paroles sont pourtant plus simples, elles combleraient le malaise). Des discussions commencent tout autour… Est-il question de comprendre pourquoi elle est morte dans ces conditions, ils ne semblent pas révoltés…Se posent-ils la question du nourrisson ? Non, la question qui les taraude est bien plus pratique : comment ramener le corps à la maison ? Le zem ne veut pas s’en charger mais le mari ne peut payer le prix du corbillard…


Rapidement je comprends que ma présence est devenue problématique : le frère de la défunte commence à parler de ce qu’on va m’offrir pour me remercier d’avoir accouru auprès d’eux… Je fais dire à l’aide-soignante que l’hôpital ne leur demande pas d’argent, nous avons juste constaté le décès et retiré les perfusions. Elle me dit donc de partir car ils pourraient penser que j’attends pour avoir de l’argent…
Besoin de marcher : un tour dans Dogbo. 30 minutes. Je reviens au moment où le convoi mortuaire se forme. Elle reprendra bien le zem qui a finalement accepté de la convoyer après avoir accroché des feuilles de palmier à huile sur la moto. Symboles de mort, de danger, dans la culture africaine… La morte est assise entre le chauffeur et son frère assis tout à l’arrière. Là son mari pour la première fois pleure en la voyant ainsi installée.
Que vous dire de plus ? Que cette version est racontée de manière édulcorée pour la rendre lisible par tous (quelques omissions) et qu’elle est dénuée d’une grande partie des sentiments ressentis afin d’éviter les maladresses… Que chaque jour à son lot de morts… Que les femmes enceintes et les nourrissons payent un lourd tribut… Que c’est le système qui cloche… Que le transport des malades sur des mobylettes lancées plein gaz sur les pistes poussiéreuses et cahoteuses est évidemment une perte de chance… Mais comment faire autrement… Avec presque rien il faudrait faire presque tout.

Bertrand

2 commentaires:

  1. cher Bertrand,
    je pense bien à toi, te garde de tout coeur dans mes prières, ainsi que bien sûr toutes les personnes concernées
    bon courage
    que l'Esprit Saint te donne sa Force
    en Christ
    Capucine

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  2. Que les pauvres soient riches au ciel.... il auront TOUT....
    bertrand Carron

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